Muriel Mayette-Holtz, flamboyante dans le vaudeville noir de Cocteau
Au Théâtre national de Nice, Christophe Perton adapte le manuscrit original des Parents terribles de Cocteau et signe un boulevard cruel d’une rare modernité. Porté par une distribution flamboyante, menée tambour battant par le trio Muriel Mayette-Hotlz, Maria de Medeiros et Charles Berling, la pièce, interdite à sa création, n’a rien perdu de verve mordante, de sa force troublante.
Après un été très actif, très festif, le TNN ouvre ses portes en cette fin septembre avec une des œuvres phares de Jean Cocteau. Passionné par la langue du poète et dramaturge français, Christophe Perton profite de la vente de quelques objets lui ayant appartenu, salle Drouot, pour se procurer, par un curieux coup du sort, le manuscrit original des Parents terribles. Écrit à la demande de Jean Marais, qui rêve d’un « rôle moderne, vivant, excessif », où son talent, sa capacité de passer du rire aux larmes, est mise plus en valeur que sa beauté, la pièce emprunte les codes du Boulevard sans jamais céder à la facilité du vaudeville.
Amour incestueux
A la roulotte, appartement où vit Yvonne, (inénarrable Muriel Mayette-Holtz), Georges (sensible Charles Berling), son mari, Léonie (extraordinaire Maria de Medeiros), sa sœur, et enfin Michel (épatant Emile Berling), son fils chéri, rien ne va plus. L’enfant prodige de la famille, un beau jeune homme de 22 ans, a découché. Entre effroi, frayeur, trouble et désarroi, la maison s’éveille dans une étrange ambiance, une atmosphère terriblement électrique qu’une simple étincelle pourrait embraser. Tous sont affectés, à des degrés divers, voyant vaciller dangereusement l’équilibre fragile du foyer. La mère, une malade chronique, un brin névrosée, ne semble pas prête à laisser son oisillon quitter son nid. Amoureuse folle de cet être qu’elle a porté, auquel elle a tout sacrifié, son mariage, son argent, les derniers feux de sa beauté, elle pourrait en mourir.
Décadence bourgeoise
Dans ce monde où tout n’est qu’apparence et faux semblant, le bonheur, sentiment trop simple, trop pur, ne peut exister. Père, mère, tante vont tout faire pour gâcher, abimer le premier émoi du jeune homme. Il ne peut s’éloigner de son monde, de sa putride pour une simple et jolie demoiselle, une prolétaire (évanescente Lola Créton). De sa plume ciselée, étonnamment moderne, Cocteau esquisse le portrait mordant d’une bourgeoisie décadente. Trop crue, la pièce fait scandale à sa création en 1938. Décrivant des mœurs troubles, brocardant l’image de la famille idéale, l’écrivain s’amuse avec un malin plaisir à faire de son vaudeville, une farce noire, une diabolique tragédie.
Du grand spectacle
S’attachant à redonner aux Parents terribles son lustre d’antan, sans pour autant tomber dans la nostalgie, Christophe Perton réveille les vieux démons de Cocteau, leur offre une nouvelle jeunesse. Dans un décor très année 1930, il déroule les fils du drame pour mieux en souligner le burlesque, le grotesque, la funeste mécanique. Sans jamais exagérer le trait, respectant l’esprit de la pièce, il entraîne sa troupe de comédiens dans un tourbillon infernal où l’amour n’est jamais loin de la haine, la compassion de la cruauté.
Une distribution de haut vol
Arrivée depuis moins d’un an à la tête du TNN, Muriel Mayette-Holtz aime les défis. Quoi de plus courageux que d’ouvrir sa première saison en montant sur scène, en s’exposant sans fard aux yeux des spectateurs ? Elle relève la gageure haut la main. Se glissant dans la peau de la folle Yvonne, elle se donne à corps perdu et offre un festival de jeux . Éloignée des plateaux depuis plus de quinze ans, elle revient et brûle les planches, rappelant à ceux qui l’aurait trop tôt oubliée, qu’elle est une Grande comédienne, une bête de scène. Face à elle, en manipulatrice froide, aigrie, en amoureuse éconduite rêvant de secrètes vengeances, Maria de Medeiros est impériale. Charles Berling n’est pas en reste. En mari relégué au second plan derrière son trop aimé et encombrant fils, il creuse les failles de son personnage pour le rendre terriblement humain et dépassé. Le trio est impayable et fonctionne à merveille. Quant aux deux jeunes, leur partie est plus fragile, plus délicate. Émile Berling s’en sort avec les honneurs, s’appuyant sur l’énergie de sa jeunesse pour interpréter le fougueux fils. Lola Créton manque encore un peu d’assurance, mais s’annonce prometteuse dans le rôle de l’intruse, de la sauveuse malgré elle.
En ce soir de deuxième, le spectacle encore en rodage est de très belle facture. Quelques petites coupes de-ci de-là ne nuiraient en rien au rythme, bien au contraire. Sous la direction de Christophe Perton, Ces Parents terribles sont clairement « incroyables ». Un petit bijou de cynisme et de drôlerie, du beau théâtre !
Olivier Frégaville